8 novembre : jour 69.

Cette semaine, je n’ai rien fait de spécial, à part peut-être mardi, où j’ai été visiter le Palais d’Eté (YiHeYuan) de Beijing.

Je finis les cours à midi, et m’empresse d’aller manger, avec tout le monde, car le départ est fixé à treize heures. A table, la conversation porte justement sur le Palais d’Eté : il y a ceux qui l’ont déjà vu et revu (comme Sara et Paco), ceux qui ne l’ont encore jamais vu (comme Marie-Astrid et moi), et ceux qui l’ont déjà vu une fois, mais aimeraient bien y retourner (comme Khaled et Erik). En tout cas, tous s’accordent à dire qu’aujourd’hui est la journée idéale : nous sommes une après-midi de semaine, il fait un temps glacé (environ cinq degrés) mais magnifique (soleil étincelant). Les visiteurs seront donc beaucoup moins nombreux qu’à l’accoutumée, ce qui ne nous empêchera pas pour autant de profiter pleinement du spectacle. Erik et Khaled sont très motivés pour y aller (notamment car Khaled aimerait emmener Dijah), mais il fallait pour cela s’inscrire la semaine précédente, comme nous l’avions fait Marie-Astrid et moi. Ils tentent néanmoins leur chance, et, à treize heures moins cinq, nous rentrons tous dans le bus. Midi cinquante-sept : un étudiant rentre dans le bus, manque de pot, lui aussi s’est inscrit, et un non-inscrit doit donc lui laisser sa place. Erik, Khaled et Dijah ont de la chance, un étudiant quitte le bus pour lui laisser sa place. Midi cinquante-neuf : ce sont maintenant trois étudiants inscrits qui veulent rentrer dans le bus plein. Erik, Khaled et Dijah se regardent pendant une seconde, attendent un instant, et, au moment où ils s’apprêtent à renoncer pour quitter le bus, trois étudiants (eux aussi non-inscrits, je suppose) se lèvent et cèdent leur siège. C’était juste.

Finalement le bus démarre et, victorieux, nous sommes tous au complet. Une vingtaine de minutes plus tard, nous arrivons à l’entrée du site. Après s’être faits aborder par une demi-douzaine de vendeurs de produits en tous genres (casquettes, masques à moustaches, marrons chauds et j’en passe), nous faisons tous une photo devant l’entrée, puis nous entrons tous. Notre guide nous montre alors un plan du site, et nous annonce que nous devons être rentrés pour quinze heures trente, ce qui nous laisse à peine deux heures. D’un commun accord, notre petit groupe (Marie, Khaled, Dijah, Erik, et son coloc coréen, Yoon, ainsi que moi-même), décidons de nous séparer du groupe pour y passer au moins toute l’après-midi.

Pour ceux qui l’ignorent, le Palais d’Eté était autrefois le terrain de jeu de la Cour Impériale fuyant la torpeur suffocante de la Cité Interdite en été. C'était à l’origine un simple jardin impérial, mais il a été embelli par l’empereur Qianlong au XVIIIème siècle, qui fit notamment agrandir le lac de Kunming. Pendant les siècles qui suivirent, le site fut régulièrement endommagé et reconstruit. Le lac de Kunming, couvre environ les trois quarts du Parc, qui est dominé par la Colline de la Longévité.

Nous sommes entrés par la porte Est, et, après quelques pas, le lac de Kunming, immense, étincelant de mille feux, apparaît en face de nous. Il s’étend sur plusieurs kilomètres, et comprend plusieurs îles, dont l’une est reliée à la terre par un pont aux multiples arcades. Des saules, d’un vert clair se meuvent lentement sur la rive du lac, au gré du vent. Lorsque nous nous approchons du bord, on distingue des plantes qui fleurissent à la surface sur plusieurs centaines de mètres. Nous continuons notre chemin en longeant le lac en empruntant des espèces de corridors en plein air, richement décorés.

Galerie couverte, Palais d été, Beijing

Nous marchons en silence le long de ces corridors en admirant ce qui nous entoure : à notre gauche, le lac, chatoyant, nous renvoie la lumière étincelante du soleil. A notre droite, plusieurs petits bassins, entourés par une végétation foisonnante, et reliés entre eux par des ponts de pierre.

Palais d'été, Beijing

Nous continuons ainsi pendant environ cinq cents mètres jusqu’à ce que les bassins cèdent la place à une espèce d’arcade, qui est en fait l’entrée menant à la Colline de la Longévité et à la tour de la Fragrance du Bouddha. On avait choisi de suivre le groupe et le guide jusque-là, mais, alors que ce dernier continue de longer le lac, nous décidons de nous séparer de lui, et d’aller jusqu’au sommet de cette colline afin de découvrir un peu plus en profondeur les merveilles du site.

Nous commençons notre ascension : un escalier, puis un premier étage où se côtoient des dizaines de pavillons luxueusement décorés par des peintures aux couleurs vives et harmonieuses. Ici une statue d’un phénix, ici une peinture représentant une élégante dame chinoise, ici des statuettes alignées sur le toit d’un pavillon nous contemplant d’un regard énigmatique… c’est vraiment très joli. Puis un second escalier, suivi d’un second étage. Avec sa tchatche habituelle, Khaled se lie d’amitié avec un couple d’anglais qui ont à peu près notre âge… et qui nous accompagneront d’ailleurs jusqu’à la fin de la visite. Nous gravissons encore un escalier, suivi d’un troisième étage : les touristes sont moins nombreux, et on peut savourer un peu plus le paysage impressionnant qui s’étale sous nos yeux : au premier plan les toits, des nombreux pavillons qui composent les étages intérieurs, au second plan, l’entrée de la colline avec son arcade somptueuse, puis derrière, le lac, encore et toujours, envoutant, flamboyant, coruscant de la lumière du soleil qui étincèle de mille feux, nous fait face. Je pourrais rester là des heures à l’observer tellement il est immense et mystérieux, mais le charme est interrompu par un groupe de touristes qui montent, et par un éclat de rire d’Erik à côté.

Nous finissons par atteindre le sommet de la Tour de la Fragrance où trône un temple bouddhiste : à l’intérieur de celui-ci, un immense Bouddha nous toise de ses cinq têtes et ses vingt bras. Malgré les touristes (et le magasin à l’intérieur même du temple !), l’endroit respire le sacré, et calme instantanément notre jovialité. Après l’avoir admiré, nous sortons du temple et nous reposons au sommet de la tour en admirant le paysage qui s’étend à nos pieds.

Puis nous choisissons de redescendre pour continuer à longer la rive du lac jusqu’au bout cette fois. Nous finissons par atteindre une espèce de port où plusieurs bateaux à tête de dragon richement décorés sont disposés sur l’eau. Devant eux, un immense bateau en marbre, des plus imposants. Très content d’étaler sa science, Erik nous raconte la légende qui entoure ce bateau. Selon la croyance chinoise, le peuple serait symbolisé par la mer, et le souverain par le bateau. Tout comme le bateau avec la mer, le souverain est censé être porté par le peuple qui est susceptible de le renverser à tout moment. En réaction à cette légende, l’empereur fit alors construire un immense bateau, en marbre ; la signification était claire : le souverain domine et écrase le peuple, qui ne pourra jamais le renverser. L’ironie de l’histoire est que, lorsqu’il mit le bateau à l’eau, celui-ci coula bien évidemment immédiatement, entrainant avec lui le souverain mégalomane.

Nous voilà arrivés au bout de la rive. S’offrent à nous deux options : faire le tour du lac, ou reprendre le même chemin pour rentrer. Comme il est déjà tard, nous préférons la deuxième option, à ceci près que nous prenons le chemin du retour, non plus en longeant la rive du lac, mais en nous enfonçant plus dans le parc. La lumière du soleil qui entame sa descente projette sur les arbres ses rayons leur donnant une couleur magique. Nous parcourons des sentiers qui sillonnent une nature luxuriante. Les anglais sont super sympas, Marie-Astrid se fait interpeller par un vieux chinois à la dentition en charpie qui veut absolument faire une photo avec elle, Khaled veut à chaque instant faire des photos de groupe, ce qui fait bien rire Erik. Comme il a le rire communicatif, tout le monde se marre et, dans un cadre des plus oniriques, nous finissons par regagner la porte Est.

Palais d'été à Pékin

Après avoir étreint comme des frères le couple d’anglais (qui, il y a quelques heures à peine, nous étaient totalement inconnus), nous nous séparons d’eux pour gagner un restaurant coréen. Nous savourons chacun un hot pot, qui se révèlera fatal pour la plupart d’entre nous : en sortant du restaurant, Marie ne se sent pas bien du tout, et le lendemain, Khaled et Khadija m’avoueront aussi qu’ils ont eu une diarrhée pas possible. Je dois être béni, ou je dois avoir un sacré système immunitaire, mais depuis le début de l’année, je n’ai jamais eu ce genre de désagrément (laduzi en chinois). La plupart d’entre nous sortent le soir (car ne l’oublions pas c’était Halloween), mais on a cours à huit heures le lendemain, et je n’ai pas encore commencé mes devoirs donc je préfère rentrer.

Le week-end est assez tranquille : après avoir donné mes cours hebdomadaires à mes classes qui semblent m’apprécier de plus en plus, je rentre chez moi pour manger. Ce soir, on avait prévu plusieurs choses, mais les tensions au sein du groupe (Sara et Marie-Astrid ne semblent pas se supporter plus que ça), changent un peu nos plans. Du coup, avec Erik, on se rend chez Marie-Astrid vers vingt heures : au programme marathon Jason Bourne. J’ai en effet les trois premiers volets de la saga en blu-ray, et on a prévu de se les savourer toute la nuit. Khaled, Dija et Sasa ont encore une fois un diner diplomatique, ce qui fait que, même s’ils étaient censés venir, ils ne pourront nous rejoindre qu’en cours de route. On a pensé un instant les attendre avant de commencer, mais comme les films sont assez longs, ça sera dur de tenir jusqu’au bout : on leur propose donc de nous rejoindre pour commencer le deuxième.

En attendant, Erik et moi arrivons chez Marie, un immeuble au cœur d’un quartier répondant au nom d’Andingmen. Elle vit avec deux colocataires : une Américaine, et une Kazakhe. On a de la chance, l’américaine est absente depuis une semaine, et, quand on entre, Marie-Astrid nous annonce que la Kazakhe est partie il y a quelques heures, ce qui fait qu’on a l’appart pour nous tout seul.

On commence donc les hostilités ; première difficulté : lire le film. J’insère ma clé dans ce qui sert de lecteur sous la télé du salon. Bien entendu, ça ne semble pas fonctionner du tout. On essaie pendant vingt minutes de toucher à tout pour déclencher une quelconque réaction, mais à part faire défiler les différentes chaines, aucun effet. Ces universitaires, pour bavasser, ils sont là, mais dès qu’il s’agit de lire un film sur un lecteur USB, c’est une autre paire de manches. Dans une tentative désespérée, on débranche et rebranche tout, et là, miracle, ma clé commence à clignoter. Encouragés par ce signe positif, on s’attend à ce que le menu s’ouvre… en vain. Rien.

A moitié exaspérés, à moitié déçus, on est partis pour les regarder sur l’ordi. Mais Marie-Astrid nous propose une alternative réjouissante : sa coloc kazakhe a une télé immense… en face d’un lit lui-aussi immense. On essaie de lire ma clé sur celle-là, et cette fois-ci, aucun problème, les trois films s’affichent à l’écran. Le lit est assez grand pour nous accueillir tous les trois, le seul petit problème… c’est qu’on est dans la chambre de la coloc, et qu’elle est susceptible de rentrer à tout moment. On interroge rapidement Marie-Astrid du regard : celle-ci semble un peu anxieuse, mais avec un peu de chance, elle est partie en week-end. Comme le lit est méga-confortable et l’écran géant, on n’insiste pas trop, et lançons le premier volet.

Tous les trois fans convaincus de Matt Damon, on passe cent vingt-cinq minutes de pur bonheur. On se lève pour se dégourdir les jambes, mais, comme le chauffage n’est pas encore autorisé dans l’appart (oui, c’est comme ça que ça marche en Chine), le salon est un peu glacial. Marie-Astrid nous rapporte un thé brulant, et, avisant un jeu de cartes, je leur fais mon tour de magie favori. Avec un demi-sourire, je savoure leur expression entre rire et ahurissement ; décidément, il marche toujours aussi bien celui-là. Erik s’empare du deck et nous explique un jeu, une sorte de bataille associant une dimension de reflexe et de rapidité (on doit taper en premier sur la pioche à certains moments), on se marre bien. Puis il nous explique un jeu appelé Bubbles : si l’on arrive à avoir quatre cartes identiques, on doit gonfler ses joues le plus possible. Dès qu’un des joueurs a gonflé ses joues, les autres doivent l’imiter, et le dernier à gonfler a perdu. Jamais vu un jeu aussi débile, mais, je ne sais pas si c’est à cause du froid vraiment glacial (dehors il fait environ zéro), mais on se marre comme des fous. Toujours pas de nouvelles des égyptiens ; au bout d’un moment, on retourne dans le lit géant pour le deuxième opus. Petit problème, il est déjà minuit passé. Tant pis, on lance le film et, au bout de vingt minutes, Erik ronfle comme un goret. Pas de pitié pour les faibles, on le laisse en arrière et finissons par terminer le deuxième. Entre temps, j’ai reçu un sms de Khaled : laduzi continue de sévir, ils préfèrent donc rentrer directement au dortoir. Je jette à Marie-Astrid un regard interrogateur et, d’un commun accord, on décide de mettre un terme à la soirée plutôt que de s’épuiser à regarder le dernier opus : il est quand même déjà trois heures trente. Je réveille donc le gros bébé ronflant à côté de moi et l’entraine dans un taxi direction le dortoir. Après la grasse mat’ du lendemain, je savoure le dernier volet dans mon lit, décidément le meilleur. Un ciné est prévu pour le soir avec Khaled et Dijah, mais cette fois, c’est moi qui leur fais faux bond ; le prix que coute le billet, le film qu’ils veulent aller voir (Twilight), sans compter les devoirs pour la semaine : je préfère passer un week-end en amoureux avec mon coloc … qui n’a pas bougé de son lit depuis qu’il est rentré, et qui commence à m’horripiler de plus en plus.

Que dire encore ? Ah oui, hier et avant-hier, je suis retourné au nouveau campus avec ma fine équipe de chinois, pour jouer au bad. La première fois, c’était histoire de s’entrainer, la seconde (hier), c’était à l’occasion d’une compétition qui opposait notre université à l’université de Beihang (université d’aéronautique et d’astronautique). J’entame les hostilités lors d’un simple contre un grand gaillard qui joue dans ce qui ressemble à un pyjama. J’aperçois du coin de l’œil l’objectif d’un énorme appareil photo qui me fixe et me suis. Je ne sais pas pourquoi, mais aujourd’hui, il y a des photographes, j’espère qu’en tant qu’occidental, j’ai le droit de jouer au nom de l’école... J’en bave sacrément (24-22), mais je finis par rapporter un point pour les diplomates. Je fais un double, que l’on perd, puis un simple : ça se passe plutôt bien pour moi. Je mène de six points quand, lorsque je lui fais un volant qui le prend à contre-pied, il s’effondre par terre, et commence à hurler. Pendant une demi-seconde, je suis effrayé, et me demande ce qui se passe, avant de réaliser qu’il a une crampe qui lui paralyse la jambe. Je m’empresse de l’aider : j’empoigne sa jambe et appuie de toutes mes forces pour lui étirer le muscle et faire disparaitre la douleur. Au bout d’une minute ou deux, celle-ci semble s’apaiser, mais il est obligé de déclarer forfait... Belle, un nouveau point pour nous. Lorsque je ne joue pas, j’ai plusieurs chinois qui me papillonnent autour : ils veulent tout savoir de moi, ce que je fais. Les rares qui parlent quelques mots de français essaient de me les caser à tout prix. L’un d’entre eux, m’aborde et, sans aucune présentation me demande mon adresse qq (le Facebook chinois). Quand je lui réponds que je n’en ai pas, il exige plus qu'il ne me demande à la fois e-mail et numéro de téléphone. Un peu inquiétant, mais bon… J’en suis débarrassé par une fille du nouveau campus qui me demande si je peux arbitrer un match qui va commencer. J’ai un peu d’appréhension, mais j’accepte, et, quelques minutes plus tard, me voilà à donner les scores en chinois (sans oublier de faire les chiffres avec les doigts, à la chinoise), et à régler les volants litigieux. On peut dire beaucoup de choses des chinois, mais pour le coup, ils sont vachement réglos en sport, et ne cherchent pas du tout à tricher, comme pas mal de français peuvent le faire.

Des très mauvais joueurs dans l’équipe d’en face, mais aussi des très bons, notamment un excellent que j’aurais bien aimé jouer ; je vous passe les détails, mais on remporte la compétition. Puis on va fêter ça dans un petit restau en face de l’école. Comme les plats tardent à arriver, Yves, un de mes potos, sors du restau et en revient avec ce qui ressemble à un sachet rempli de tortillas. D’après ce que je comprends, ce sont des chips de patates douces, et, passée la surprise (c’est sucré), je m’empresse d’en reprendre tellement c’est bon. Les plats finissent par arriver et, après avoir bâfré, je les salue et rentre prendre une douche brûlante avant de m’attabler face à mes devoirs.

8 novembre : Jour 69.

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