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Un français à Beijing
31 mai 2013

Chapitre 11 : Lijiang, Venise Orientale.

Chapitre 11 : Lijiang, Venise Orientale.
 

Après une nuit de sommeil très relatif, le bus finit par s’arrêter à la gare de Lijiang. De là, Erik et moi prenons un taxi qui nous dépose à l’entrée de la vieille ville. En effet, Erik, qui est déjà venu une fois, recommande de passer la nuit dans une auberge appelée « Mama Naxi » au cœur de la vieille ville. Alors que le soleil se lève lentement sur les maisons de pierre qui nous entourent, nous traversons Lijiang pour rejoindre Sara et son ami chez Mama Naxi.

La ville de Lijiang a été construite sous la dynastie des Nan Song, il y a maintenant 1800 ans. Les canaux qui traversent la cité de toutes parts, les trois-cent cinquante-quatre ponts les surplombant comme des arcs-en-ciel, ou encore les saules pleureurs qui dansent avec le vent, en font une ville magnifique, inscrite sur la liste de l’Héritage Culturel Mondial de l’UNESCO.

Traversée par la rivière Dragon de Jade qui s’écoule du nord au sud et se divise en trois bras pour traverser la vieille ville : « rivière ouest », « rivière est », « rivière du milieu »,  Lijiang un lieu très pittoresque avec ses canaux se faufilant dans chaque ruelle et dans chaque famille. C’est par sa structure caractéristique qu’elle est surnommée « la Venise Orientale ». Passée la porte de la ville, on se croirait presque revenir plusieurs siècles en arrière, avec les jolies maisons chinoises traditionnelles, les ruelles pavées et les ponts en bois passant par-dessus les canaux clairs. Avec cette configuration, on peut comprendre l’importance qu’occupe l’eau dans la cité, aussi, les habitants de la vieille ville sont très stricts au sujet de son usage. D’après notre guide, il y a un célèbre puits dans la vieille ville nommé « Le puits des trois yeux» où l’eau du premier œil du puits ne sert qu’à être bue, celle du deuxième à nettoyer les légumes et celle du dernier à laver les vêtements.

En tous cas, lorsqu’on arrive chez Mama Naxi, je comprends pourquoi Erik tenait tant à y retourner. C’est une des petites maisons typiques, ancienne et traditionnelle bordée par un canal. Lorsque nous entrons, nous avons à peine le temps de remarquer l’intérieur en bois où les clients matinaux sont en train de prendre leur petit déjeuner, que nous sommes accueillis par la Mama en personne. Toute petite, il est très difficile de lui donner un âge, mais elle doit avoir plus de quatre-vingts ans. Pour autant, physiquement elle dispose de toute son énergie, et, avant même d’avoir commencé les formalités de réservation ou de paiement, elle nous donne à chacun une banane avec un sourire malicieux et chaleureux.

On va voir les deux, qui bien entendu sont en train de dormir, mais, vu leur réaction, on décide de leur laisser un peu plus de temps pour émerger. On en profite pour poser nos sacs et se commander un solide petit-déjeuner. Alors qu’on a commencé à lire chacun de notre côté, on voit arriver les deux sleepies, la tête encore endormie. Premier contact avec Léo, qui a pour principale préoccupation à ce moment-là de se maintenir éveillé, mais qui se révèlera par la suite, quelqu’un de vraiment adorable, avec qui j’ai vraiment bien accroché.

A leur tour d’expérimenter le petit déjeuner de Mama, puis nous nous mettons en route. Nous n’avons pas vraiment de destination précise, notre but est de partir à la découverte de la vieille ville et de se perdre dans le lacis de ruelles et de canaux. Les touristes (quasiment tous des chinois) sont en nombre, mais ça ne réussit pas à gâcher le charme des petites maisons au toit de pierre.

Alors qu’on arrive sur une place que domine une énorme arcade, nous apercevons un Naxi portant un aigle sur son épaule. Apparemment, il le « prête » aux touristes pour faire des photos. Sauf qu’au moment où on regarde, un couple de chinois veut une photo de son bébé avec l’aigle. Le rapace fait environ deux fois la taille du nourrisson, et pourrait lui ôter la vie en deux coups de bec, mais le massacre semble évité après le clic de l’appareil.

Cette fois, nous ne nous perdons plus dans le dédale des rues pavées, car nous avons un but : gagner les hauteurs de la ville, qu’une pagode domine de toute sa hauteur. En cheminant pour y arriver, nous remarquons d’étranges signes sur les murs. C’est du dongba, l’écriture des Naxi : à mi-chemin entre les caractères chinois et les dessins. Pas très loin des hiéroglyphes finalement.

Ca y est, nous avons atteint les hauteurs, et entrons dans la pagode. Celle-ci est construite sur plusieurs étages, et lorsque nous gagnons le dernier, nous savourons le spectacle de la vue extraordinaire qui s’étend sous nos yeux. En effet, nous avons l’ensemble de la vieille ville, mais vue de haut, ce qui fait qu’on ne remarque que les toits des maisons, petits rectangles gris et biscornus qui s’étalent à perte de vue. C’est dommage car les photos ne rendent pas bien de l’effet donné, mais c’est assez époustouflant : on dirait les petits fragments de céramique et d’émail d’une mosaïque extrêmement complexe. Pour le coup, on voit clairement le contraste entre la vieille ville et les maisons en pierre, « plates », et la ville moderne où les buildings semblent gagner la troisième dimension.

On redescend ensuite dans la vieille ville, et faisons une halte dans une boutique où Erik veut acheter du café, met plutôt rare en Chine. On discute un peu avec la patronne qui est gentille, et dans le même temps, on se fait harceler par ses deux chiens, qui sont pour le coup un peu trop chaleureux. Erik y laisse quasiment son bras, mais ça a l’air de bien faire rire la patronne et les chinois qui déambulent dans la rue. On passe ensuite par un temple où un arbre sacré rouge vif attire notre attention. Les prières des fidèles sont nouées à ses branches, support du message aux dieux.

Après avoir pris un déjeuner consistant encore une fois de jiaozi, on rentre chez Mama Naxi, histoire de se reposer un peu. Puis nous mettons le cap vers l’ouest de la ville, et principalement sur un marché. Bon, je ne vous raconte pas, vous commencez à avoir un peu l’habitude des marchés (et moi aussi) : des produits plus ou moins frais, de toutes les couleurs et odeurs imaginables, et la plupart du temps, on ne saurait en identifier que la moitié.

Le soir, nous sommes de retour chez Mama Naxi où l’on planifie un peu la prochaine excursion : les Gorges du Tigre Bondissant. Léo a remarqué un signe dans la cour, nous indiquant que l’on pouvait avoir un dîner Naxi fait maison, moyennant 25 yuans. Mon estomac qui se remet difficilement de ses mésaventures est assez réservé sur la question, mais ça a l’air d’emballer les autres.

 

Je me permets de faire une petite parenthèse, à ce moment de mon récit. En effet, au cours de ce voyage, on a rencontré pas mal de minorités (la plupart dans le Yunnan), mais, si je ne devais vous en présenter qu’une seule, ce serait les Naxis. D’abord, parce que c’est celle que j’ai eu le plus l’occasion de côtoyer (très modestement, soyons honnêtes), mais aussi parce que je la trouve particulièrement intéressante. En effet, descendant de tribus qiang d’origine tibétaines, les Naxis vivent encore récemment en familles matrilinéaires. Les dirigeants locaux étant toujours des hommes, la société Naxi n'est pas à proprement parler matriarcale, mais les femmes tiennent toujours une place prépondérante. Par exemple, à l’auberge, c’est Mama qui donne les ordres, et Papa qui exécute.

Les matriarches naxies maintiennent les hommes sous leur coupe avec des relations amoureuses très souples. Le système de l'azhu (l'ami), permet à un homme et à une femme de devenir amants sans partager le même toit : le garçon passe ses nuits chez sa petite amie, et retourne vivre et travailler chez sa mère pendant la journée. Les enfants appartiennent à la mère, responsable de leur éducation ; l'homme la soutient aussi longtemps que dure la relation. Etant donné ce système, la reconnaissance de paternité n'a guère d'importance. Les femmes héritent de tous les biens, et les conflits sont arbitrés par les ainées.

Il est aussi intéressant de remarquer que le dongba, la langue naxie, comporte elle aussi de fortes influences matriarcales. Les noms prennent une signification plus large avec l'ajout du mot « femelle » et un sens plus restreint avec le mot « mâle ». Par exemple, le mot pierre + femelle désigne un rocher, et pierre+ mâle un caillou.

 

C’était une longue parenthèse, mais j’avoue que c’est assez intéressant de voir Papa mettre la table pendant que Mama regarde la télé. Bref, revenons à nos moutons et à notre repas abondant. En effet, devant le bœuf sauté, les haricots verts, le poulet frit, on s’apprête à attaquer ce repas prometteur. Mais les plats arrivent les uns après les autres, sans qu’on semble pouvoir arrêter Papa de faire l'aller-retour entre la salle principale et la cuisine. Poisson grillé, riz sauté, choux chinois, nouilles en soupe, chips au fromage, aubergines… On a beau être pas mal à manger, on a l’impression que ce flot ne s’arrêtera jamais et que Mama, depuis sa cuisine, semble prendre un malin plaisir à nous assaillir de plats délicieux. Parce que soyons clairs, les plats sont peut-être nombreux, mais ils sont avant tout, tout simplement succulents. Épicé, doux, sucré, salé, amer, âcre, mon palais est aux anges, et ne sait plus trop bien où il est, devant un tel défilé de saveurs variés. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, nous finissons quasiment tous les plats présents sur la table, au grand plaisir de Mama et Papa.

 

Après cela, nous jouons aux cartes autour d’une petite bière en digérant tranquillement tout ce qu’on vient d’avaler. Et là, un spectacle très simple, mais que je n’oublierai je pense jamais : dans la salle principale, Mama Naxi, telle une petite pomme ridée, grimpe sur ce qui se révèle être un minuscule lit, et s’endort, seule, au beau milieu de ses clients qui jouent ou discutent chaleureusement.

 

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